A la une du quotidien "Le Soir" du 23 avril 2002 :

Avec Thierry Ardisson tout le monde en prend
Son émission phare, "Tout le monde en parle", sur France 2, tient les amateurs éveillés chaque samedi jusque bien après minuit grâce au ton et à la maîtrise télévisuelle d'Ardisson et sa bande. Cette liberté de langage ("Fogiel, c'est comme l'herpès" ou "Notre époque est puritaine, j'ai envie d'y foutre le bordel", on la retrouve dans l'entretien qu'Ardisson nous a accordé. Et où tout le monde en prend pour son grade. Dans notre page Médias. 

L'article de la page Médias :

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MEDIAS  CULTURE  | 29    

  Télévision 

  Interview exclusive du quinqua le plus remuant et le plus en vogue du PAF 

Tout le monde en prend

Thierry Ardisson, l’animateur de « Tout le monde en parle », chaque samedi à 23 h 30 sur FR 2, est au sommet de sa popularité et de son art consommé à bousculer le petit écran entre « toc chaud » et dézingage du système médiatique.

ENTRETIEN
Samedi 13 avril, 20 h 15, hôtel Bristol, Paris. Thierry Ardisson déboule dans le hall avec deux heures de retard, les yeux battus, la mine désolée, la bouche sèche, lendemain d’un enregistrement tardif terminé en virée. L’attachée de presse a dû le sortir du lit pour qu’il rejoigne le palace où il a ses habitudes. Sans lunettes noires, malgré la nuit blanche, il nous précède vers le bar cosy, dont le pianiste, dès son entrée, entame une version veloutée de « Capitaine Flam », Ardisson pose sa légendaire silhouette sapée d’un Boss noir, commande coup sur coup deux cafés glacés, grille ses premières cigarettes du soir en répondant, sur un tempo TGV avec une lucidité retrouvée à nos questions.

TF1 voulait vous débaucher, France 2 a su vous retenir. Que s’est-il passé?
J'étais fâché avec France 2 à cause de cette histoire d’émissions clones. Celle de Fogiel, depuis deux ans et ensuite celle de Lumbroso (« Y a un début à tout ») en début de saison. J’étais dans la situation d’un réalisateur qui a écrit un film, qui cherche un producteur pour le produire et qui peut choisir. TF1 avait envie que j’y aille et était prête à me donner les moyens artistiques et financiers de réaliser ce que j’avais envie à un horaire de primetime bâtard autour de 22 heures après des émissions comme « Qui veut gagner des millions ? » ou « Le Maillon faible ». Lumbroso + Fogiel + l’offre TF1 font que j’ai vraiment pensé changer de chaîne. France 2 a demandé ce qui pourrait me retenir. J’ai expliqué mon envie qu’on me laisse faire de la télé comme un téléaste. J’ai demandé que « Tout le monde en parle » reçoive plus de moyens.

 

Avec toujours cette idée, de mélanger paillettes et intelligence, avec des invités venant de plus loin, avec des ballets, des numéros visuels. Avoir des primetime, des soirées spéciales... France 2 m’a donné ce que je voulais et m’accepte comme le mec qui fout le boxon. 

La nouvelle formule reposera toujours sur les mêmes ingrédients : sexe, liberté de parole, déconnade ?
 « Tout le monde en parle » est devenu un espace de liberté. A propos du sexe à la télé, on en parle toujours sur un ton médicalisé, jamais comme d’un plaisir. Chez Delarue, Dumas, c’est, « je suis frigide, je n’arrive pas à bander, mon fils couche avec mon mari »... Moi, je parle du sexe de façon naturelle, un peu grivoise, paillarde mais avec bonne humeur. Notre époque est petite-bourgeoise, puritaine, avec partout des flics de la pensée. J'ai envie de foutre le bordel. A commencer par le sexe. 

Vous obtenez plus de place et de moyens à l’antenne mais les émissions clones restent ?
Je ne sais pas ce que Lumbroso fera à la rentrée et je doute qu’elle continue la même émission. Il n’y a pas assez de gens invitables en France, pour trois émissions du même type. Et dans le même groupe audiovisuel, ce qui est une stupidité. Quant à Fogiel, oui, il sera sans doute là à la rentrée. Fogiel, c’est comme l’herpès, quand tu l’as, tu ne peux plus t’en débarrasser. Parfois, il te fait plus mal, parfois moins. J'ai aucune animosité contre lui personnellement. Je pense même qu’il a du talent. J’ai envie de lui dire : « Trouve une autre idée ». Je peux même bosser avec lui pour trouver un concept. 

A 53 ans, vous êtes toujours là, inoxydable. C’est quoi la recette ?
Je n’essaie pas d’être dans le coup. J'y suis sans chercher à y être. Autre truc, je ne vois pas des gens de mon âge. Je vis comme quand j’avais 35 ans, avec principalement des gens de cette tranche d’age.

J'essaie pas d’être à la mode, je fais la mode.

Vous êtes toujours à l’aise dans l’audiovisuel français ? 
Etre capable de choquer, de foutre le bordel à 53 ans, c’est génial. Cela prouve que je ne me ramollis pas, ne me druckérise pas. Comme producteur, je trouve des idées d’émissions, des animateurs, un titre, un décor et puis les émissions vivent leur vie comme « Paris dernière », « On a tout essayé », « Graine de stars », produites par différentes autres sociétés et cela me rapporte des ronds. Je suis la vestale du concept.

Votre écurie va encore s’élargir ? 
Je n’ai pas une stratégie d’industriel de la télé comme Delarue ou Arthur. Le côté chef d’entreprise, c’est pas mon truc. Je travaille chez moi, j’ai ma société, avec six personnes qui gèrent mes affaires. J'ai une stratégie en tache d’huile, pas pyramidale, c’est plus artisanal, par affinités. A la rentrée, j’aimerais produire Frédéric Beigbeder. Je discute aussi beaucoup avec Michael Youn.

Qui vous bluffe dans l’audiovisuel, aujourd’hui ? 
Stéphane Courbit qui a monté Endemol en France avec Arthur. En cinq ans, ils ont fait une colossale fortune. C’est bluffant. Côté animateurs, Michael Youn me bluffe par sa décontraction. Sinon, je n’ai pas à être bluffé par Daniela Lumbroso, Flavie Flament, Benjamin Castaldi ou Julien Courbet. Il n’y a pas de quoi. Pour moi, il y a deux types d’animateurs. Celui qui a fait autre chose avant, qui est une personnalité indépendamment de la télé. Celui-là peut apporter un plus parce qu’il a autre chose dans le cigare. D’un autre côté, il y a ces jeunes loups et louves prêts à tout animer. Ce qui les intéresse n’est pas ce qu’ils ont à dire mais seulement d’être assis là parce qu’ils en rêvent depuis l’âge de 14 ans. Pour y arriver, ils feraient n’importe quoi.


Toutes les vérités sont bonnes à dire ?

Avec l’affaire Thierry Meyssan (niant le crash d’un avion sur le Pentagone le 11 septembre), vous avez été pris à votre piège de la liberté de parole ?
J’admets ne pas avoir pris assez de précautions oratoires. Je ne crois pas à sa théorie mais je pense que dans l’histoire des attentats du 11 septembre, certaines choses sont fausses. En ce qui concerne Marie Laforêt criant au grand complot mondial, j’aurais pu aussi la contrer, mais, j’ai du mal à dire à mes téléspectateurs ce qu’ils doivent penser. Ils sont assez grands.

Ces dérapages vous font passer pour l’instrument d’une paranoïa ?
Je passe déjà pour tellement de choses. C'est surtout l’incuriosité des médias que je dénonce. Je vais

encore plus accentuer la liberté de parole laissée aux gens qu’on ne voit pas ailleurs. 

Dans votre parcours revient constamment cette dualité entre mensonge et vérité. C’est une croisade ?
Je ne me prends pas pour un croisé. Dans nos pays, il y a deux niveaux d’info : les journalistes, les élites, les gens qui savent tout, par exemple, sur le cancer, la fille ou la francisque de Mitterrand, et puis, il y a ce qu’on dit au bon peuple. Je conteste ces deux niveaux d’information. Je suis partisan du tout voir et tout savoir. En télé, l’info est aseptisée, rien ne dépasse.

Vous êtes anti-establishment tout en étant dans l’establishment...
L’un ne va pas sans l’autre. Il faut faire de l’entrisme. Pour critiquer le système, il faut un haut-parleur, le mien est tourné vers les 2,5 millions de gens qui me regardent le samedi.

Le tour de force est d’avoir une surface médiatique importante pour arriver à dire même le contraire de ce que dit l’establishment. Je ne décide pas seul. La chaîne est au courant. Mais partout, il y a une laisse. La mienne est pour l’instant plus longue que les autres. Mais si je tire trop, je la sens. 

Qu’est-ce qui vous énerve dans le système audiovisuel ? 
Que la télé se foute de la gueule du public qui en est conscient. Les hommes politiques et les animateurs participent à cette duperie générale. Les gens n’ont pas d’esprit critique car on ne fait rien pour le développer. D’autre part, on est dans un système où la majorité des Français sont tous défoncés, par une substance ou une autre, ils s’abrutissent pour supporter ce qu’on leur fait supporter. Entre les gros nichons de mon émission, je glisse quelques intellos qui ont des choses à dire.


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« Plus ça va, plus je suis moi-même »

Qui semble le moins menteur : Chirac, Jospin ou Le Pen ?
Ils mentent tous. Le Pen dit des choses que l’on a moins l’habitude d’entendre, donc, il pourrait apparaître comme le moins menteur. Et quand on le connaît, il est aussi menteur que les autres mais c’est celui qui donne l’impression de moins mentir. Moi, je n’ai jamais voté. Ca ne sert à rien. Les hommes politiques font quand même que ce qui les arrange une fois élus.

Seriez-vous capable d’interviewer Marc Dutroux ?
Oui. C’est un être humain auquel, à un moment on doit pouvoir parler. Tout le monde a le droit de s’exprimer. Il n’y a pas de gens tabous. C’est terrible à dire, mais je suis sûr qu’au fond de Dutroux, même si elle est infime, il y a une parcelle d’humanité, quelque chose à trouver. Je n’absous pas du tout ses très graves fautes car je suis aussi père de trois enfants. Mais disons que j’aimerais lui parler.

Est-il vrai que vous êtes interdit de séjour aux Etats-Unis ?
Oui. Pour détention d’une boulette de shit de 1,5 gramme. Ce pays est malade. Toute la journée, ils se tirent dessus à bout portant, ils condamnent des gens à mort pour leur apprendre à vivre. Et pour une barrette, on est interdit de séjour.

Ardisson est-il devenu Thierry ?
Oui. Plus ça va, plus je suis moi-même. Longtemps, j’ai été très schizo. Je donnais l’image de quelqu’un d’agressif, de roquet. A la télé, le samedi soir, je suis proche de ce que je suis dans la vie, même si il y a une théâtralité de la télé.

Votre foi catholique, c’est du pipeau ?
Quand j’ai arrêté la drogue dure, j’ai fait du sport et je me suis tourné vers la religion pour m’en sortir. Un catholicisme dur, exigeant qui s’est aujourd’hui mué en christianisme, une morale comme une autre. J'essaye de respecter ses préceptes.

Le christianisme est fondé sur une révolution formidable incarnée par un type, Jésus, qui a cassé le tabou de l’esclavage en proclamant l’égalité et la fraternité. C’est ultra-révolutionnaire. A côté, le Marxisme est une parodie, un plagiat. En fait, Marx est à Jésus-Christ, ce que Fogiel est à Ardisson (rires).

Voulez-vous passer pour le Louis XIV,  l’éminence grise, ou le chouan du PAF ?
A l’écran, je suis peut-être le chouan du PAF (sans connotation religieuse ou historique). Pas Louis XIV, je ne règne pas. Je préfère éminence grise, être partout, être influent, à la Richelieu. J’ai appris les vertus et la puissance de la discrétion. Je ne sens plus le besoin de paraître. Le vrai succès n’est pas d’avoir la plus grosse boîte de prod avec des chiffres terribles, mais d’être le modeste producteur d’émissions qui se remarquent.

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Fernand Letist
Alexandre Charlier

 

 REPÈRES .b

Naissance : 6 janvier 1949 à Bourganeuf dans la Creuse

Pub : de l978 à 1987, créatif pour les agences BBDO, TBWA et Business. Inventeur du spot de 8 secondes. Les slogans « Vas-y Wasa » ou « Lapeyre, y en a pas deux », c’est lui.

Télévision : début en 1985 sur TFl avec « Descente de police ». En l988, arrivée sur Antenne 2 avec l’émission-culte « Lunettes noires pour nuits blanches », Suivie en 1992, de « Ardimat » puis de « Double jeu ».
Après avoir été l'éditeur de la revue « Entrevue » de 1992 à 1995, il crée cette année-là « Paris Dernière » sur la chaîne câblée Paris Première, puis en 1997, le magazine culturel quotidien « Rive droite, Rive gauche ». Depuis 1998, il anime et coproduit « Tout le monde en parle » sur France 2.

Signes particuliers : rebelle intemporel, épicurien médiatique, monarchiste, mari de Béatrice et papa de Manon, Ninon et Gaston.

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« Tout le monde en prime »

Dès septembre, la formule du talk-show du samedi sera enrichie d’invités plus coûteux à déplacer, de ballets, de numéros visuels dans un plus grand plateau et d’une dimension « révélation » accentuée par une rubrique « Personne n’en parle ». Cinq fois par an, l’émission montera en prime time le samedi et s’intitulera « Tout le monde en prime ». Ces jours-là, la case tardive sera occupée par des fictions. Enfin, Ardisson recevra carte blanche, cinq lundis par an, pour des prime time spéciaux : sur les 50 ans du rock, le Festival de Cannes, l’anniversaire de la mort de Jacqueline Maillan... (F. Lt.)

  Secrets de fabrication
L'émission restera en différé car de la même manière qu'un réalisateur ne montre pas ses rushes, Ardisson veut proposer à ses adeptes un produit fini et soigné. « Tout le monde en parle » est enregistré le jeudi pendant environ quatre heures. Ensuite, l'animateur-producteur passe une vingtaine d'heures à monter l'émission. Pour la préparation de celle-ci, des recherchistes constituent, par invité, des dossiers d'environ 200 pages sur base d'articles de presse. Un journaliste synthétise la matière en vingt pages. Huit invités, ce sont 160 pages par semaine que doit assimiler l'animateur pour ses interviews.
(F. Lt .)
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Fogiel versus Ardisson
L'animateur d' « On ne peut pas plaire à tout le monde » a déposé plainte contre Ardisson pour citation de propos désobligeants tenus par... le chanteur Jean-Louis Murat.

 

 

le site du journal

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